REVUE DE PRESSE

Publié le par Patrick LEBORGNE

Discrètement, le Sénat s'en prend à tous les discriminés
Travail. Une proposition passée inaperçue réduirait la prescription des procédures civiles de trente ans à cinq ans.
SONYA FAURE
QUOTIDIEN : mardi 18 mars 2008
 
C'est une proposition de loi susceptible de «réduire à néant» toute la jurisprudence en matière de discrimination au travail, qu'elle soit fondée sur le genre, l'appartenance syndicale ou religieuse, l'orientation sexuelle. C'est ce qu'affirment les syndicats de la magistrature et des avocats de France, la CGT et de nombreuses associations de lutte contre l'homophobie, réunies en collectif, dans un appel lancé aujourd'hui. Pourtant, personne ne s'en était rendu compte de prime abord. La proposition de loi du sénateur (UMP) Jean-Jacques Hyest a été présentée le 21 novembre. Elle vise à réduire à cinq ans, au lieu de trente aujourd'hui, la durée de prescription des procédures civiles. Immédiatement adoptée par les sénateurs, elle attend son passage à l'Assemblée.
C'est seulement à Noël que le monde syndical s'est agité. Car, parmi les centaines de cas portés devant une juridiction civile (droit immobilier, familial…), il y a aussi les discriminations au travail. Les victimes n'auraient plus que cinq ans pour porter plainte, et si le préjudice est reconnu, les indemnités ne porteraient plus que sur les cinq dernières années. «Ce serait un message clair adressé aux employeurs, explique le collectif dans son appel, que Libération a pu lire hier. Certes, la discrimination resterait interdite en droit ; en fait, elle pourrait perdurer puisque la contraction des délais de prescription indiquerait aux chefs d'entreprise qu'ils n'auraient à courir qu'un très faible risque financier en persévérant dans la transgression de la loi.»
«Proportionné». François Clerc est un ancien mécano de chez Peugeot. Il a voué une bonne partie de sa vie syndicale - à la CGT - à la lutte contre la discrimination. Et inventé un modèle de courbes croisées infaillible pour révéler les discriminations salariales, si difficiles à prouver devant les tribunaux. «La discrimination est ce qu'on appelle en droit pénal un délit continu : en se prolongeant tout au long de la carrière, les inégalités se cumulent et s'accroissent», explique-t-il. Réparer le préjudice sur les seules cinq dernières années serait donc injuste. Et contraire au droit européen, selon Michel Miné, juriste : «D'après celui-ci, en matière de discrimination, la sanction doit être effective, proportionnée et dissuasive. Ne prendre en compte que les cinq dernières années n'a rien de "proportionné".» Cinq ans, c'est court aussi pour se décider à porter plainte. «Il faut rassembler les preuves, les témoignages, éplucher les registres du personnel… En moyenne, monter un dossier prend deux ans», rapporte l'avocate Emmanuelle Boussard-Verrecchia, qui a plusieurs fois accompagné des salariés devant les tribunaux.
Les initiateurs de la proposition de loi, eux, parlent dans l'exposé des motifs de «souci de sécurité juridique» et d'harmonisation : si, en 1804, la prescription devant une juridiction civile a été fixée à trente ans (une génération), il existe aujourd'hui 250 délais de prescription différents, de trente ans à un mois. «Les règles de la prescription civile sont inadaptées à l'évolution de la société et à l'environnement juridique actuel», estiment les auteurs, notamment parce qu'«une durée de prescription aussi longue ne semble plus nécessaire dans la mesure où les acteurs juridiques ont un accès plus aisé qu'auparavant aux informations indispensables pour exercer leurs droits».
Pénal. Sécuriser les rapports sociaux en entreprise, c'est aussi une demande récurrente des organisations patronales. Eviter les tribunaux et la loi. Faire confiance aux négociations entre partenaires sociaux. Car aujourd'hui, la jurisprudence est plutôt favorable aux salariés discriminés. Et les sommes que les entreprises sont condamnées à verser peuvent être élevées : «Pour un ouvrier, on est vite à 50 000 euros», not e l'ancien mécano François Clerc. «Cette proposition de loi est évidemment favorable aux entreprises, explique un juriste. Mais aussi au contribuable. Les contentieux sur trente ans sont très chronophages : réduire la prescription à cinq ans sera du temps gagné pour les juges. De plus, entre les fusions, les rachats… Il est difficile pour une entreprise de se défendre et de faire la preuve de ce qu'il s'est passé il y a trente ans.»
La réduction de la prescription sécurisera-t-elle le monde du travail ? Pas sûr. Limités au civil, salariés et syndicats pourraient préférer porter plainte au pénal, démarche plus lourde en terme d'image pour l'entreprise car plus médiatique. Mieux : même lourde - et sans doute justement grâce à cela -, la menace de sanction financière au civil a favorisé le dialogue social. Depuis la fin des années 90, de grosses entreprises ont ainsi négocié un rattrapage financier pour discriminations syndicales - plus rarement des inégalités touchant les femmes. «PSA, la Snecma, EADS ou Matra ont montré leur capacité à négocier, note Emmanuelle Boussard-Verrecchia. Ce qui fait peur aux employeurs, c'est qu'après les affaires de syndicalistes discriminés arrivent celles des femmes, plus nombreuses. Si cette réforme passe, c'est la génération des femmes arrivées sur le marché du travail dans les années 70 qu'on sacrifie.»
La proposition du sénateur Hyest doit bientôt passer à l'Assemblée. C'est amusant. Car le 25 mars, justement, Xavier Bertrand examinera un projet de loi visant à transposer dans le droit français une directive européenne contre la discrimination. «Un signal fort contre les employeurs qui discriminent, souligne François Clerc. Qui sera vite suivi, si la proposition du Sénat est adoptée, d'un : "Mais rassurez-vous, vous ne risquez rien à le faire."»

Corruption, piège à cons
Mathieu Lindon
QUOTIDIEN : samedi 8 mars 2008

On a l'impression que rien au monde n'était plus important, cette semaine, que d'empêcher Denis Gautier-Sauvagnac de toucher ses indemnités de départ. «Plus jamais ça», semblait-on penser face à ce qui apparaît comme une corruption récompensée. La France entière était derrière le Medef (et il y a des gens pour prétendre que Nicolas Sarkozy n'est plus habile). On proposait à l'ancien responsable de l'UIMM un million et demi pour se taire. Qui aura le courage de lui proposer deux millions pour parler, ainsi qu'ont fait les Allemands avec un banquier du Liechtenstein pour la fraude fiscale ? On oscille entre deux slogans contradictoires : «une seule solution, la corruption» et «corruption, piège à cons». Il faut pourtant voir que la corruption, c'est du pouvoir d'achat au sens propre : le pouvoir d'acheter les hommes. Il semble que, toute leur vie, ils se sont fait une certaine idée du pouvoir d'achat, à l'UIMM. Si désormais les patrons ne font plus de cadeaux, est-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle ? En tout cas, on comprend mieux pourquoi ils ne pouvaient pas augmenter le Smic, ils devaient choisir entre accroître les bas salaires ou la cagnotte. On ne peut pas leur reprocher d'acheter les salariés. Ils n'ont certes pas tenté de se mettre les smicards dans la poche à coups d'augmentations mirobolantes.
Maintenant, quand on parlera de «la table des négociations», peut-être faudra-t-il aussi évoquer les dessous de table des négociations. Il s'agissait de «fluidifier les relations sociales», que des syndicats aient été bénéficiaires de cet argent comme on l'a prétendu ou que ce soit des partis politiques comme on l'avance aujourd'hui. On ne dira plus corrupteur actif ou passif, mais fluidificateur et fluidifié. Lorsque c'est pour vendre des frégates à Taiwan, tout le monde comprend le principe des commissions, et quand c'est chez nous, plus de rétro-corruption, ça ne devrait enrichir que les étrangers ? Acheter la paix, c'est une douce manière de faire la guerre. Ç'aurait été d'ailleurs une bonne occasion pour les syndicats de justifier leur efficacité si mesurée : «Ce n'est pas parce qu'on est nuls qu'on n'obtient rien, c'est parce qu'on y trouve bénéfice». Pas du tout. «On a tout fait gratuitement», disent-ils en quelque sorte. Aurait-on préféré que les fonds secrets du patronat partent au Liechtenstein ? Au moins, les patrons de l'UIMM les ont dépensés français. On leur reproche de ne pas assez investir : mettre l'argent dans le social ou le politique, ce n'est pas un bon placement ?
Au moins, lorsque le gouvernement a acheté la paix sociale avec les riches, l'a-t-il fait au grand jour avec le paquet fiscal. Il faut rendre aux riches ce qui appartient aux riches. A défaut de mettre du beurre dans les épinards, pourquoi ne pas le mettre dans le beurre ? Le beurre va au beurre. Il y a urgence à confier à Denis Gautier-Savagnac la mission de fluidifier les relations du football français avec les arbitres européens, sûrement qu'on obtiendrait de meilleurs résultats. Dix-neuf millions d'euros en liquide, ce n'était pas juste pour sa consommation personnelle. C'est d'ailleurs un paradoxe de cette affaire que s'il avait tout gardé pour lui, ce riche Denis Gautier-Sauvagnac ferait moins figure d'ennemi public numéro 1. S'il avait roulé à la fois l'UIMM et les syndicats ou partis prétendument corruptibles, nul doute qu'il aurait droit à une réputation d'une tout autre nature, tel un Arsène Lupin moderne.




Lundi 17 Mars 2008

Débats

La querelle des anciens et des modernes

Et voici que la vague médiatique porte déjà aux nues ce qui va être un " patronat moderne ". On l'attend autant que le beaujolais nouveau. " L'affaire UIMM " ne serait que l'héritage du Comité des forges - contre les modernes, éthiques forcément éthiques. La plongée aux enfers de l'image patronale face à la justice princière des octrois sur fond de caisse noire fait qu'il faut trouver une échappatoire d'urgence. " Réformer ", voilà la solution ! Les Français aiment les réformes, patrons inclus. Ils veulent réformer les autres et, comme le prince de Salinas : " Faire changer les choses pour que rien ne bouge . "
Mais on a beau se creuser la tête, on voit assez mal ce qu'est un " patronat moderne ". Moins d'escrocs ? On peut rêver. Moins d'enrichissement au sommet ? On sourit. Plus de transparence ? Ben voyons ! Une meilleure représentativité ? de quoi et de qui ? Pas une entreprise ne ressemble à l'autre. Mieux communiquer ? Certes, mais auprès de qui ? On comprend bien l'esprit qui préside à ce combat, la querelle des anciens et des modernes fait partie de notre patrimoine culturel. Certes, il y a les anciens méchants qui planquaient un magot et les gentils nouveaux qui en vivaient sans le savoir ; mais n'est-ce pas un peu court pour déterminer une nouvelle philosophie économique ?
On pourrait aussi défendre le fait que c'est justement le patronat " moderne " qui décourage et crée les injustices. Ce sont bien les " nouveaux managers " qui se " golden " parachutent, tout seuls, qui ne prennent plus de risques et qui privilégient le cours de Bourse en enrichissant (juste ce qu'il faut) leur seul entourage direct pour ne pas avoir d'ennuis. Les " anciens ", eux, étaient payés en cadres super sup - ce qu'ils sont - et affichaient de bonnes vieilles valeurs ringardes comme le paternalisme. Certes la charte éthique vendue clés en mains par l'agence de communication est " moderne ", mais on en cherche en vain les bienfaits ? Malheureusement, il ne suffit pas de claquer des doigts pour faire émerger un patronat moderne.
En revanche, il faut mettre en selle les " vrais " patrons du terroir, les créateurs, les entrepreneurs, leur prêter de l'argent, les consulter, les écouter. Et si la modernité c'était le retour du bon sens, du sens commun ? Si l'honnêteté est moderne alors soyons modernes et si la corruption est ringarde, c'est une bonne nouvelle ! Et si le nouveau patronat de derrière les fagots se pose les vraies questions face au changement vertigineux qui nous engloutit, il faut l'encourager.
Quelle sera la nouvelle éthique du capitalisme ? That is the question , un débat shakespearien. Qui a réussi à être plus moderne que Shakespeare  ?

Quant à moderniser les structures... Elles ne sont que le prétexte à substituer une bureaucratie à une autre. Il faut mettre des entrepreneurs aux commandes des commissions, ils seront aidés, comme dans une entreprise par des DRH, des directeurs juridiques, ou autres fonctions nécessaires à une négociation performante. On ne pourra jamais avoir des structures et un patronat dit " moderne " face à des syndicats archaïques. Tous ne sont que les produits de la société française, d'un état dominant, d'une administration tentaculaire et d'un peuple qui veut être assisté jusqu'à la mort, voire après !
Notre pays n'a que le patronat qu'il mérite, ni plus ni moins, et ses turpitudes sont aussi le résultat d'une nécessité de se protéger des rapports sociaux toujours conflictuels et souvent violents. Résultat aussi d'une tolérance coupable et d'un acquiescement tacite du politique, on peut aussi se prendre à rêver de partis politiques " modernes "...
Laissons donc l'adjectif moderne aux cuisines intégrées et raisonnons en termes d'éthique et de courage, avec une vision d'ensemble associant tous les partenaires de l'entreprise. Essayons vraiment de faire disparaître le mandarinat, créons une véritable communauté des entrepreneurs, donnons-lui la parole, cessons d'alimenter le feuilleton " patrons contre patrons "... et partons conquérir le monde, il n'est pas hexagonal.

* Présidente d'ETHIC, chef d'entreprise.
 

Par Sophie de Menthon * " On a beau se creuser la tête, on voit assez mal ce qu'est un "patronat moderne* "



 


Dimanche 16 Mars 2008

Le Monde Argent

" Les familles monoparentales fragilisées "

Nicolas Ruiz, vous êtes économiste à l'Institut d'économie publique. Quels sont les ménages qui ont perdu du pouvoir d'achat ces dernières années ?

Depuis 2002, date du décrochage entre la perception du pouvoir d'achat par les ménages et sa mesure effective, force est de constater que le pouvoir d'achat a évolué de manière très différente selon les ménages. En croissance au niveau strictement macroéconomique, le pouvoir d'achat de certains groupes de la population a pourtant diminué. C'est le cas notamment des familles monoparentales, des ménages dont le chef de famille a dépassé 50 ans et de ceux dont le revenu varie entre 1 et 1,3 smic en équivalent temps plein. Il devient indispensable d'adopter une approche microéconomique pour répondre au problème du ressenti du pouvoir d'achat.

 Pourquoi les familles monoparentales sont-elles si affectées ?

Par définition, elles ne disposent que d'un seul revenu pour plusieurs enfants à charge et ne réalisent pas les économies d'échelle résultant de la vie en couple. Sur les vingt dernières années, ces familles ont subi une inflation de cinq points supérieure à l'augmentation nationale des prix. De plus, la précarité des emplois occupés par ces ménages entraîne une érosion de pouvoir d'achat plus forte que le reste de la population. En 2003, le pouvoir d'achat des familles monoparentales était inférieur de 20 % à la moyenne nationale.

Sur deux années consécutives (2002 et 2003), 40 % des familles monoparentales ont perdu plus de 1 % de leur revenu disponible réel, alors même que le chef de ménage est resté actif. Tous ces éléments aboutissent à une dégradation de la situation économique de ces familles, au moment où leur nombre dans la société française ne cesse d'augmenter.

 Propos recueillis par M. P.
 
 

Publié dans capagauche35

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