SARKO CHEF DE TOUT OU SARKO L'APPRENTI NERON

Publié le par Patrick LEBORGNE

 
Dominique Barella, ex-magistrat et conseiller de Royal, critique la toute-puissance de l'exécutif :
 
«Sarkozy a pris la tête de la justice»
Par Jacqueline COIGNARD
 
LIBERATION : samedi 27 janvier 2007
 
Dominique Barella, ex-président de l'Union syndicale des magistrats (USM), actuellement en détachement, fait partie de l'équipe de conseillers de Ségolène Royal. Dans OPA sur la justice (1), il décrit un pouvoir exécutif ­ ministre de l'Intérieur en tête ­ cherchant à asservir le «troisième pouvoir» en jouant sur toute une palette de moyens : attaques directes, pressions, gestion des carrières, distribution de médailles...
 
Quelle charge ! Vous aviez besoin de vous défouler ? 
Pendant mes six années à l'USM, j'ai eu l'occasion de réaliser à quel point la Ve République, par son caractère bonapartiste, fait tout dépendre du chef de l'Etat. Il préside le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), nomme tous les magistrats par décret, etc. L'onction du suffrage universel tient tellement du sacre que personne ne s'étonne plus de telles particularités. C'est un système qui organise la toute-puissance de l'exécutif au détriment du Parlement et de la justice notamment. Il n'y a pas de neutralité et d'indépendance possibles pour la justice. Certes, ce n'est pas nouveau. Mais, depuis quatre ans, l'instrumentalisation de la justice atteint des sommets.
 
Comment se manifeste cette instrumentalisation ? 
Le jeu des nominations a été très instructif. Prenons le cas d'Yves Bot, proche de Nicolas Sarkozy, nommé à la tête du parquet de Paris en 2002. Il s'est empressé de changer la quasi-totalité des chefs de service et d'assécher le pôle financier en traitant les affaires sous forme d'enquêtes préliminaires dont il gardait la maîtrise. Depuis quatre ans, nous avons aussi des gardes des Sceaux qui revendiquent leur pouvoir d'intervention dans des dossiers individuels, qui se flattent de ne pas suivre les avis du CSM en matière de nomination des magistrats. Enfin, cette législature finissante se distingue par l'omniprésence d'un ministre de l'Intérieur lancé depuis des mois dans la course à l'Elysée. C'est un homme qui a pris la direction de la justice en initiant des réformes de procédure pénale qui ont échoué sur Outreau, qui n'hésite pas à multiplier les pressions publiques sur les juges, qui s'est servi de la justice dans l'affaire Clearstream pour lutter contre le Premier ministre.
 
Sarkozy est le principal raider de cette «OPA sur la justice» ? 
Et pour quel résultat ! C'est quand même lui qui a fini par déclencher un état d'urgence, une première depuis la guerre d'Algérie... Il a tout joué sur les effets d'annonce à court terme. Mais tous les gens arrêtés ne sont pas forcément coupables. Et il y a grand danger à mesurer, comme il le fait, l'efficacité de la police au nombre de gardes à vue réalisées. Comme ça ne marche pas, il cherche des boucs émissaires : les juges sont laxistes, il faut des peines automatiques, etc. Sur le plan doctrinal, il a une conception automatiste de la sanction. Or les mineurs dont il parle ont soixante ans de vie ou même plus devant eux. Il faudrait peut-être penser à les réinsérer.
 
Le corps judiciaire ne s'accommode-t-il pas de ces pratiques ? 
C'est un système qui joue sur les faiblesses humaines et le besoin de reconnaissance. On ne devient pas un parangon d'indépendance et de courage juste en enfilant une robe de magistrat. Pas plus qu'en se voyant octroyer une carte de presse, d'ailleurs. Les magistrats ne sont pas aidés par ce système de distribution de médailles et de gestion des carrières. L'interdiction de recevoir des médailles qui frappe les députés et sénateurs au motif de la séparation des pouvoirs devrait être étendue aux magistrats. L'USM l'avait proposé. Sans grand succès.
 
Pourquoi avez-vous choisi de vous engager politiquement ? 
J'ai envie de me battre pour corriger les dérives que je constate et que je décris dans ce livre. Arrive un moment où il faut prendre son courage à deux mains et aller jusqu'au bout de sa logique. Quand on voit l'affaire des HLM de la ville de Paris où un juge a subi toutes les manoeuvres de déstabilisation possibles, ou Clearstream où la justice a été instrumentalisée avec un listing bidon, on ne peut pas rester bras ballants. Dans n'importe quel pays européen ou aux Etats-Unis, le gouvernement aurait sauté. Au moins, en matière d'interventionnisme et de verrouillage des postes clés, la gauche a moins péché dans sa période récente. Ségolène Royal écoute les citoyens «sachant» dans leur domaine. Je fais des propositions. Ça se tente.
 
Quelles propositions faites-vous à Royal ? 
Je suggère d'associer le plus possible les citoyens aux décisions de justice, comme dans les tribunaux pour enfants où la composition du tribunal est mixte. Il s'agit de rétablir un lien de confiance qui n'existe plus. Autre axe prioritaire : la défense des libertés publiques. Il faut absolument faire baisser les détentions provisoires, par le biais de l'assignation à résidence avec contrôle policier, par exemple. Enfin, je prône un réaménagement de la carte judiciaire. Dans les tribunaux d'instance, il faudrait regrouper la justice «ambulatoire», celle qui touche tout le monde et qui doit être proche géographiquement : divorces, tutelles, tribunaux pour enfants, accidents de la route. A l'inverse, les opérations judiciaires lourdes comme les affaires criminelles devraient être centralisées à un échelon départemental, voire régional.
 
(1) A paraître début février chez Hachette Littérature.
 

Publié dans capagauche35

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